ENNERY57
Au Pays des Trois Frontières
Commune jumelée avec Janaillat (Creuse) et Ennery-en-Vexin (Val d'Oise)
PLAIES VIVES DU PASSE
  En 1936, ENNERY compte environ 400 habitants et a une grande importance pour la communauté juive. Un rabbin officie d'ailleurs dans la synagogue ( le bâtiment existe toujours mais n'est plus utilisé).  
 
  On ne peut pas dire qu'ENNERY soit une plaque tournante mais toujours est-il que bien avant la déclaration de la guerre, des juifs allemands (artisans, commerçants, …) y venaient pour demander de l'argent afin de partir en Palestine.

  Il faut se souvenir que depuis la prise de pouvoir par HITLER au début des années 30, la chasse aux juifs alla en s'intensifiant pour finir dans l'horreur des camps. On comprend donc le désir de ces gens de fuir l'Allemagne au plus vite ; pour appuyer leur démarche, ils déclarent que les Allemands leur ont tout pris, que la nuit les magasins sont pillés et les gens molestés. Leurs dires seront amplement confirmés par la suite. Après la remilitarisation de la Rhénanie et de la Sarre, en 1936, le régime hitlérien interdit à tous les Allemands, juifs ou non, de venir en France.  
 
  1939 : on est presque certain que l'Allemagne va entrer en guerre. Une première mobilisation avait déjà eu lieu en 1938.  
 
  Des informations de plus en plus alarmantes viennent d'Allemagne. On dit que les Allemands mangent "du beurre à canons", autrement dit : ils investissent dans le matériel de guerre. Les usines tournent à plein régime pour ne plus fabriquer que chars, avions, canons, munitions…  
 
  En attendant, en France, on continue de vivre comme si de rien n'était dans une douce insouciance malgré les informations qui venaient d'Allemagne. C'est vrai que nos dirigeants étaient persuadés que l'armée française était prête pour la guerre. Utopie ! On sait ce qu'il en advint par la suite.  
 
  Depuis un an déjà, des troupes françaises et même anglaises sillonnent la région. Plusieurs régiments transitent par ENNERY ; ils y restent quelques jours ou parfois plusieurs semaines. Les soldats dorment chez l'habitant. Le 15ème génie quant à lui stationne au château. Il est chargé de la construction des voies ferrées dans les forêts entre ENNERY et SAINT-HUBERT, car il est nécessaire que les trains de munitions puissent ravitailler nos armées à la frontière et sur la ligne Maginot.  
 
  Le 3 septembre 1939 est le jour de la déclaration de guerre à l'Allemagne ; c'est aussi la 2ème mobilisation. Des affiches sont apposées sur les murs et dans les mairies. Nul ne le sait encore mais cette guerre va s'avérer cauchemardesque pour des millions de personnes.  
 
  Monsieur Charles DAGA, maire de la commune, est mobilisé et c'est Monsieur Nathan LEVY qui le remplace.  
 
  Des soldats continuent d'arriver à ENNERY : les tirailleurs sénégalais, la légion étrangère, …  
 
  Tous ces militaires participent activement à la vie du village et apportent une animation peu coutumière.  
 
  Tout cela dure de septembre 1939 à mai 1940. C'est, ce que l'on a appelé, la drôle de guerre.  
 
  Jusque là, les accrochages entre les armées françaises et allemandes se déroulent à la frontière et sur la ligne Maginot.  
 
  Mais cette apparente tranquillité ne dure pas. En mai 1940, on commence à entendre les canons. Cela est un mauvais présage. L'arrivée des troupes allemandes est imminente. Des laissez-passer sont établis et remis aux employés des usines sidérurgiques.  
 
  Le 20 juin 1940, des motards allemands entrent au village ; ils portent de grands cirés en cuir. Les habitants, cloîtrés chez eux, sont anxieux ; chacun essaie de voir quelque chose à travers les volets mi-clos ou derrière les rideaux. L'élément précurseur est bientôt rejoint par une cohorte de camions et de voitures. Les Allemands s'installent. Pendant les mois qui suivent, on les verra rarement au village ; les gendarmes de VIGY, de nationalité allemande, y viennent parfois pour régler des affaires courantes.  
 
  Mais, peu à peu, l'administration allemande est mise en place. Un certain BURKEL est envoyé de BERLIN pour accélérer la germanisation de la Lorraine. La presse régionale est remplacée par des journaux en langue allemande. Les enseignants sont envoyés en Allemagne, pour apprendre la langue ou se perfectionner, afin de l'enseigner aux enfants. Les noms des villes et des villages sont germanisés. ENNERY prend le nom de "HOCHSCHLOSS".  
 
  En juillet 1940, après l'annexion de la Lorraine par les allemands, les soldats lorrains sont renvoyés dans leurs familles et les français de "l'intérieur" sont fait prisonniers.  
 
  La dure réalité de la guerre ne s'était pas encore trop fait sentir aux habitants du village. Cela n'allait pas durer et les dures épreuves étaient à venir.

  LA PREMIÈRE EXPULSION  
 
  C'est en novembre 1940 qu'a lieu la première expulsion.  
 
  Mais avant cette date des familles avaient déjà quitté le village. C'est le cas de Madame LEVY et de sa fille Marcelle qui préfèrent partir de peur de subir le sort de la communauté israélite en Allemagne. Comme elles sont seules depuis le 17 mars 1940, date du décès de Monsieur Nathan LEVY, elles décident donc de partir avec le frère de Madame LEVY. Le 17 mai 1940 c'est le départ à bord de son camion. Le voyage est pénible ; les routes encombrées de réfugiés qui quittent l'Est de la France et de soldats qui se replient. Ils arriveront à bon port à CHALONNES SUR LOIRE (49) après avoir néanmoins essuyé des bombardements de l'aviation allemande.  
 
  A ENNERY, depuis quelques semaines, plusieurs familles savent que le départ est proche; ayant signé pour quitter la Lorraine, elles ont opté pour la France et la zone libre et non pour l'Allemagne.  
 
  Personne ne connaît la date de départ mais on commence à rassembler le nécessaire pour partir : 50 kilos de bagages et 2000 francs. Certains cachent de l'argent dans la doublure des habits ou dans des sacs de haricots blancs. D'autres prennent soin de cacher dans leur maison de la vaisselle, des outils ou même des bouteilles de mirabelle avec l'espoir de tout retrouver à leur retour. Ont-ils récupéré leurs biens ? On peut en douter.  
 
  Le 15 novembre au matin les Allemands arrivent avec des autobus. Les familles sont prévenues du départ proche. La famille PIERSON qui devait également partir reste à ENNERY en raison de la naissance d'une petite fille.  
 
  Sur la place du village, les soldats allemands remettent à chaque famille un document stipulant leur expulsion.  
 
  Direction la gare de marchandises de METZ.  
 
  Là, il faut passer les contrôles : d'identité d'abord, puis des marchandises. La fouille est cependant très superficielle.  
 
  Le voyage dure trois jours : DIJON, ensuite MACON et le passage de la ligne de démarcation. Les troupes françaises accueillent les expulsés au son de la Marseillaise. Le train prend alors la direction de LYON. Arrivés dans cette ville, tous les réfugiés sont emmenés au parc des expositions où un repas chaud est servi. Le soir, c'est le départ vers la Haute-Vienne. Le voyage dure toute la nuit ; le train s'arrête à VIERZON où les gens sont étonnés de voir un marché. A LIMOGES, un train de réfugiés est en gare et il reste quelques places ; plusieurs familles décident de continuer le voyage. Elles rejoindront CIEUX, commune située à quelques kilomètres d'ORADOUR-SUR-GLANE (devenue tristement célèbre de la barbarie des troupes allemandes) (familles MARCI, CHARRON, …). Les autres passent la nuit à la gare. En arrivant à SAINT-LEONARD-DE-NOBLAT, plusieurs familles descendent. A la descente du train, les habitants sont surpris car, contrairement aux Alsaciens, les Lorrains parlent français. Les familles sont réparties dans des hôtels où les repas sont pris en commun. Après plusieurs jours des logements sont mis à la disposition des réfugiés (familles HETZ, BONNAVENTURE, BAUDOIN, DAGA, …). Le secours national distribue quelques meubles, des vêtements, des couvertures et des lits. La famille BARBE s'installe à EYCOUVEAUX, près de SAINT LEONARD. Voir la localisation sur la carte
 
  Une nouvelle vie commence.  
 
  A ENNERY, le départ de ces familles a laissé un vide.  
 
  En effet, le café "français" est fermé car la famille CHARRON est partie ; la boulangerie tenue par la famille BONNAVENTURE est fermée elle aussi. La commune n'a plus de maire puisque la famille DAGA fait partie des expulsées.  
 
  Néanmoins la population et la vie s'organisent ; Monsieur Marcel PIERSON remplace Monsieur DAGA. Il y a bien le café de la "Belle-Croix" pour passer un moment de détente, mais la grande amitié du patron pour les Allemands est telle que les jeunes préfèrent aller se distraire dans les auberges des villages voisins. Le départ du boulanger oblige les habitants à se déplacer pour acheter leur pain et il faut souvent aller jusqu'à OLGY, à la boulangerie tenue par Monsieur BASINI, pour en trouver. L'hiver étant rude et la couche de neige persistante, ils sont contraints de faire le chemin à pied en tirant un traîneau, car l'on ramène du pain pour plusieurs familles. Solidarité oblige !

  Les premiers mois de 1941 passent sans problèmes. On ne parle plus d'expulsions, les Allemands qui sont au village ne sont pas agressifs. Ils ont peu de rapports avec les villageois.  
 
  Cela ne devait pas durer.  
 
  LA DEUXIÈME EXPULSION  
 
  Le 23 avril 1941, jour des adorations perpétuelles, une quinzaine de jeunes : Edmond ALISE, Albert et Marcel BURGER, André et Marcel DEBUISSON, Germain, Marcel, Pierre et Raymond DECKER, Charles DEFRANCESCHI, Gilbert HOUPERT, Georges PIERSON, Roger VINTRIGNER, Gabriel ZEGUT ,.. décident d'aller s'amuser un peu après les vêpres. Ne fréquentant plus le café de la "Belle-Croix", ils partent donc pour AY-SUR-MOSELLE afin de jouer aux quilles (amusement prisé de l'époque) au café DEFRANCESCHI. Le soir, sur le chemin du retour, ils sont joyeux (mais comment le leur reprocher) et commencent à chanter la Madelon, la Marseillaise…. Quelques-uns portent même le béret en signe de patriotisme.  
 
  Et chacun rentre chez soi…  
 
  C'est le lendemain 24 avril que le cauchemar commence. Dès le matin la Gestapo est au village car elle sait déjà ce qui s'est passé la veille. Les jeunes, dont certains portent encore le costume de la veille, sont arrêtés et conduits en mairie. L'un d'eux, qui travaillait aux champs, rejoindra le groupe à son retour. Ils sont embarqués dans des camions ; direction la prison Maurice BARRES de METZ.  
 
  Le village est sous le choc car les plus jeunes ont à peine 17 ans.  
 
  Depuis plusieurs semaines Monsieur et Madame MARCI avaient demandé à quitter la Lorraine pour rejoindre la famille en Haute-Vienne. Le départ est fixé le 24 avril. Ils partent donc pour la gare de METZ au matin, sans connaître les dernières nouvelles du village. Arrivés en gare, ils se joignent à un autre groupe pour passer les différents contrôles. Il y a cinq tables à franchir et comme lors du départ de 1940, le contrôle est superficiel. Mais, à la dernière table, un soldat allemand dit à son collègue : "ils viennent de Hochschloss" (nom du village rebaptisé par les occupants). Aussitôt on les ramène à la première table (les allemands connaissaient déjà ce qui s'était passé la veille sur la route entre AY-SUR-MOSELLE et ENNERY). Une deuxième fouille sévère attend Monsieur et Madame MARCI. Les Allemands trouvent de l'argent caché à l'intérieur des porte-monnaie. Il est confisqué et il est donné en échange un reçu établi en marks et non en francs. L'argent, caché dans la doublure des habits, n'est pas trouvé ; le landau, où ont été dissimulés un jambon et d'autres choses, n'est pas fouillé. La petite Nicole, quant à elle, dort paisiblement dans les bras de sa maman. Après la guerre, lorsqu'il a fallu récupérer l'argent, le mark ne valait plus rien.  
 
  L'emprisonnement des jeunes d'ENNERY dure des jours et des jours. L'attente est interminable, l'anxiété commence à poindre dans les familles dont certaines ont plusieurs enfants en prison.  
 
  Au bout de quelques jours, les Allemands préviennent les familles :"si vous allez en mairie et signez pour partir, on libérera vos enfants !".  
 
  L'ultimatum est clair. Les parents n'ont pas le choix et se préparent à quitter ENNERY. On prend soin de cacher le maximum de chose dans les maisons ; une pièce située entre deux maisons, rue du Presbytère, est même murée par les familles ALISE et PERRACHE après y avoir stocké de la vaisselle, des outils, … L'histoire ne dit pas si elles ont récupéré leurs biens.  
 
  Et le 3 mai, les Allemands sont bien là avec les autobus, comme pour le premier départ, garés en face de l'actuelle pharmacie.  
 
  Tout le monde est rassemblé sur la place. On se force à ne pas pleurer. Silencieusement les gens commencent à monter. Certains soldats Allemands semblent gênés.  
 
  A l'arrivée en gare de METZ, il y a des soldats Allemands partout et les jeunes d'ENNERY ne sont pas là. Une longue attente commence. L'heure est maintenant proche, l'inquiétude grandit. Monsieur BURGER refuse de monter dans le train sans ses enfants. Mais bientôt un camion arrive et fait marche arrière contre un wagon à bestiaux ; les jeunes sont là, entourés de soldats en armes. Le train part enfin mais le voyage sera long. DIJON, MACON, tout le monde laisse éclater sa joie en y arrivant. Les troupes françaises présentent les armes au son de la Marseillaise. Est-ce pour les jeunes ou pour l'ensemble des passagers du train venant de zones occupées ? Nouveau départ et c'est l'arrivée à LYON. Chaque famille se voit remettre une carte d'expulsés de la Moselle.  
 
  Tous les réfugiés sont rassemblés au palais de la foire. Gîte et couvert leur sont offerts.  
 
  Personne ne connaît la destination du voyage. Au hasard des promenades dans la ville de LYON, est rencontré Lucien CAHEN d'HAGONDANGE qui leur dit :"Allez dans la Creuse, vous aurez des pommes de terre et vous ne manquerez de rien".  
 
  Départ pour GUERET. Un repas est servi à l'hôpital de cette ville et, après une bonne nuit de sommeil et de récupération, il faut rejoindre VIEILLEVILLE. Là, des habitants de la Creuse viennent les accueillir. Nous sommes le 10 mai 1941.  
 
  Les réfugiés d'ENNERY rejoignent donc JANAILLAT où, depuis début mai, les propriétaires des maisons libres sont avisés qu'ils doivent tenir leurs maisons en état pour recevoir des "expulsés Lorrains" qui ont opté pour la France.  
 
  L'accueil est chaleureux et convivial. On installe les familles au mieux. La plupart de celles-ci sont réparties dans les hameaux (voir carte).  
 
  L'intégration des Enneryciens est très rapide et les relations de bon voisinage sont immédiates.  
 
  Cette longue période de 1941 à 1945, marquée par de vives souffrances, fut aussi jalonnée d'événements heureux tels que communions, mariage. La vie dans cette région agréable y était simple, les habitants chaleureux.  
 
  Le retour à ENNERY fut accueilli avec soulagement. Malheureusement, dans les maisons il n'y avait plus rien. Les vitres des fenêtres avaient été remplacées par du plastique. Les Allemands n'avaient laissé que quelques affaires.  
 
  La guerre s'était bien passé pour ces réfugiés, qui reconnaissaient avoir eu de la chance.  
 
  La vie reprit ainsi tout bonnement son cours, mais cela est une autre histoire...  
 
  (Extraits d'un document du 8 mai 1994 rédigé par deux habitants d'ENNERY).  
 
 
  Rien ne prédisposait Jacques Gandebeuf à s’intéresser un jour à l’histoire de la Moselle. D’origine auvergnate, il n’avait aucune attache dans la région et ne la "découvrit " que par pur hasard professionnel.  
 
  Journaliste depuis douze années dans la presse stéphanoise, il entra en effet, dès 1966, comme grand reporter au "Républicain Lorrain".  
 
  Durant plus de vingt- cinq ans, ses déplacements fréquents tout autour du monde ne lui laissaient guère de temps d’approfondir le passé refoulé de la société locale. Mais comme tous les Français venus "de l’intérieur", il en avait senti très tôt la complexité, tel l'écho d’une sourde inhibition. Par tempérament, il supportait assez mal les clichés imbéciles sur les"Boches de l'Est".  
 
  Il lui fallut attendre la retraite, en 1992, pour entreprendre un long travail de recherche, sans prétention d’historien, sans aucune préoccupation commerciale mais seulement pour montrer son respect au pays qui l’avait si bien accueilli. Il a choisi d'ailleurs de rester à Metz et a écrit depuis, sur l’humiliation mosellane, deux enquêtes et un roman, tous bien accueillis dans le département. Il est aussi conférencier.

  Je vous invite à visiter son site, particulièrement intéressant, à l'adresse suivante : http://mosellehumiliee.com/index.php